Cinq ans après Tsushima, le studio Sucker Punch est de retour avec un nouvel opus, Ghost of Yotei. Indépendante du précédent volet autant par le décor que l’intrigue, cette nouvelle incursion dans le Japon médiéval reproduit elle la même réussite ? Verdict dans la suite.
Mi-2020, entre deux confinements, la PS4 nous gratifie d’une nouvelle exclusivité qui aura su faire monter la hype au fil de ses différentes présentations, et qui réussit en prime à créer la surprise à sa sortie. Son nom : Ghost of Tsushima. Plongeant le joueur dans le Japon médiéval à travers les yeux d’un ancien samouraï lancé dans une quête de vengeance, le jeu surprend par son mélange de réalisme et d’onirisme, de violence et de poésie. Si le héros Jin Sakai peut parcourir l’open-world en faisant couler (littéralement) le sang de ses adversaires mongols à coups de katana, il sait également prendre le temps de contempler le paysage en rédigeant un haïku ou en profitant d’une source chaude pour se ressourcer. Et que dire de son système de GPS aussi beau que osé, troquant la sempiternelle carte pour une représentation visuelle du vent indiquant la bonne direction. Bref, Ghost of Tsushima fait date, autant pour les joueurs que pour son studio Sucker Punch qui réussit à imposer une nouvelle licence, après Sly Raccoon et Infamous. Si Tsushima sera rapidement porté sur PS5 via une édition Director’s Cut (comprenant son DLC de l’ile d’Iki), ce n’était évidemment qu’une question de temps avant qu’une vraie suite voit le jour.

Cinq années. C’est donc le temps qu’il aura fallu pour que cette suite nous parvienne enfin sur PS5. Une suite qui, choix assez osé pour une nouvelle licence, reprend uniquement les acquis de gameplay de son prédécesseur. Exit le héros Jin Sakai et le décor de Tsushima, bienvenue à une nouvelle héroïne, Atsu, et au décor de l’ile d’Ezo (Hokkaido), où se trouve le mont Yotei. Comme son prédécesseur, Ghost of Yotei ne tarde pas à nous plonger dans l’ambiance et les motivations de son héroïne qui, enfant, assiste au massacre de sa famille par le seigneur Saito et sa bande, communément connus comme les Six de Yotei. Après plusieurs années passées loin de là, Atsu revient à Ezo dans un seul but : accomplir sa vengeance sur les Six de Yotei.

A bien des égards, Ghost of Yotei marque autant une continuité qu’une rupture par rapport à Ghost of Tsushima. Rupture notamment à travers son personnage qui, outre la différence de genre, représente l’opposé de son prédécesseur en termes de motivations. En effet, si le samouraï Jin Sakai abandonnait peu à peu son honneur et son humanité au fil de son périple, Atsu est au contraire déjà dénuée de son humanité, prise enfant par les Six de Yotei. Ce n’est qu’au fil de sa quête, et notamment des rencontres sur sa route, que Atsu retrouvera un semblant d’humanité ainsi qu’un goût à la vie et à aider son prochain. L’intelligence des développeurs avec Ghost of Yotei, c’est de lier cette quête d’humanité à travers le prisme de la narration autant que du gameplay. En effet, la plupart de vos rencontres avec les PNJ seront liées à des quêtes annexes offrant leur lot de récompenses si vous les complétez. Or, ces récompenses prendront souvent la forme d’armures, d’armes ou encore d’améliorations de vos compétences (santé, attaques…). Autrement dit, loin d’être un simple remplissage d’open-world, ces quêtes annexes se révèleront très vite un réel atout, à l’image de l’obtention du kusarigama (une lourde boule et une faucille reliées par une longue chaine) ou de la yari (sorte de lance). En prime, le soin apporté à leur écriture n’aura que peu à envier aux missions principales, au point qu’il sera parfois difficile de distinguer les quêtes principales des facultatives.

En termes de continuité avec Tsushima, Ghost of Yotei reprend la plupart des éléments de son prédécesseur tout en n’hésitant pas à les améliorer, voire à les bousculer un peu. Ainsi, si l’open-world, désormais découpé en zones distinctes avec un rapide temps de chargement entre elles, nous invite toujours à l’exploration (y compris à travers des phases de plates-formes lorgnant sur Uncharted, la rigidité en plus), celle-ci se fait désormais de façon bien plus organique. Exit la carte avec les points d’interrogation indiquant les points d’intérêts potentiels, celle de Ghost of Yotei s’apparente davantage à une vraie carte en papier qui se personnalisera, souvent manuellement, au fil des informations glanées lors de vos rencontres avec les PNJ, ou des points que vous repèrerez à distance avec la longue-vue. Un système qui ne sera pas sans rappeler Zelda Breath of the Wild, excusez du peu. On touche ici à une autre preuve d’intelligence des développeurs : le gameplay de Ghost of Yotei étant un brin répétitif comme son prédécesseur (on pourrait le résumer à : chevaucher, repérer, escalader, combattre…), ce feeling beaucoup plus organique dans l’exploration apporte un sentiment de dynamisme et d’imprévu particulièrement bienvenu, demandant d’ouvrir constamment les yeux pour ne rien rater d’intéressant. Et on ne vous parle pas des rencontres impromptues, comme les PNJ amicaux se joignant à votre feu de camp ou les chasseurs de primes vous tendant des embuscades. En parlant d’impromptu, pas de panique, les oiseaux dorés et les renards vous guidant à des points d’intérêts sont de retour. Vous pourrez également compter sur votre lien avec une louve sauvage, dont les compétences seront également améliorables via des quêtes dédiées, et qui se révèlera un allié occasionnel précieux dans les combats.

Concernant les combats, on reste là aussi sur les acquis de Ghost of Tsushima avec un peu de peaufinage. Comme à l’accoutumée, les adversaires vous attaqueront rarement à un contre un, et vous devrez très vite apprendre à jongler. Jongler entre vos adversaires simultanés tout d’abord (pas toujours facile, surtout avec une caméra parfois capricieuse), mais aussi et surtout jongler entre vos postures et entre vos armes. En effet, les différentes armes d’Atsu devront constamment être alternées afin de tirer parti au mieux de leurs forces et de leurs faiblesses en fonction de l’arme de votre adversaire. Par exemple, un katana n’aura pas la même efficacité contre un autre katana ou une lance. Cette alternance demandera un peu d’apprentissage au début, mais deviendra très vite une seconde nature, tout comme alterner entre vos postures défensives et offensives. Si une posture défensive constante vous protégera des coups, apprendre à parer une attaque adverse au bon moment vous offrira des fenêtres d’attaques idéales pour des coups bien placés. De même, ne négligez pas les possibilités d’assassinat furtif, ni l’utilité des armes secondaires (poussière, couteaux kunai, pistolet…), ni les possibilités d’améliorations de vos compétences (l’esprit – aux différents usages pendant les combats – et la santé peuvent être augmentés aux sources chaudes et aux bambous d’entrainement). Certes, cela fait encore beaucoup d’éléments à maitriser, mais face à des adversaires souvent retors et certains combats qui conservent les mêmes faux airs de Souls-like que dans Ghost of Tsushima, nous ne saurons vous conseiller de ne pas les négliger pour pleinement profiter de l’expérience de Ghost of Yotei.

Sur un plan plus technique, Ghost of Yotei souffle le chaud et le froid. Si les paysages sont toujours aussi somptueux, mêlant réalisme et onirisme avec brio, on regrettera une modélisation des personnages et animaux un brin en-deçà de ce que l’on pourrait attendre d’un jeu PS5 en 2025. De même, en dehors des combats, les animations de Atsu et des autres PNJ paraissent assez rigides, en particulier dans les phases de plates-formes. Cette rigidité saute d’autant plus aux yeux lorsque l’on se souvient des animations de Naoe dans Assassin’s Creed Shadows il y a quelques mois seulement. Par certains aspects, on en viendrait presque à penser que, à l’image de l’Ombre du Mordor et l’Ombre de la Guerre en leur temps, le studio a préféré miser sur l’efficacité en privilégiant l’ajout et le peaufinage de fonctionnalités de gameplay, plutôt que les correctifs et améliorations techniques qu’auraient demandé les bases posées par le premier volet. Dans cette même veine, si on saluera le retour du mode visuel Kurosawa (passant le jeu en noir et blanc), désormais secondé par les modes Takashi Miike (caméra plus proche, jeu plus gore) et Shinichirō Watanabe (musique contemporaine lo-fi), on regrettera un mode visuel Ray Tracing plutôt anecdotique. En revanche, impossible de ne pas accorder une mention à la partie audio, qu’il s’agisse de la superbe musique originale ou du doublage. Concernant ce dernier, si le français et l’anglais répondent à nouveau présent et font le travail honorablement, on ne saurait vous conseiller d’opter à nouveau pour le doublage japonais pour une immersion sans pareil.

Si le changement de décor et de personnage principal pouvait laisser planer le doute, Ghost of Yotei est bien le digne successeur de Tsushima. Reprenant l’ensemble des bases de ce dernier, le jeu de Sucker Punch les peaufine et améliore pour un résultat bien plus organique, que ce soit dans son gameplay, l’exploration de son open-world ou encore sa narration. Certes, on décèle encore ici et là des éléments qui mériteraient d’être corrigés, à commencer par une modélisation et une animation des personnages un peu désuète, mais rien qui justifie de se priver de ce voyage sur les flancs du Mont Yotei.








