Après avoir créé la surprise fin 2019 avec le premier volet, Hideo Kojima est de retour avec Death Stranding 2. Cette suite, sous-titrée On The Beach, réussit-elle à renouveler l’expérience et l’exploit ? Verdict dans la suite.
Hideo Kojima. Un nom qui, depuis plus de vingt-cinq ans, résonne autant auprès des professionnels du jeu vidéo que des simples joueurs. Car oui, si le bougre a désormais plus de quarante ans de carrière derrière lui, c’est véritablement en 1998 (et un an plus tard chez nous) que le premier Metal Gear Solid permet à ce créateur d’ancrer son nom dans l’inconscient collectif vidéoludique. Véritable révolution en termes de mise en scène et de narration dans le jeu vidéo, sans compter un gameplay donnant à l’infiltration ses nouvelles lettres de noblesse (sachant que les Metal Gear sur MSX étaient déjà parmi les précurseurs du genre en leur temps), ce premier « MGS » est véritablement une date dans l’histoire du jeu vidéo. Mais plus que ça, il présente enfin au grand public le style si particulier de son créateur, bien décidé à pousser les possibilités du jeu vidéo et de l’interaction dans ses retranchements au point de ne pas hésiter à briser le quatrième mur, marquant souvent la mémoire des joueurs. Ceux qui ont affronté Psycho Mantis à l’époque sur PS1, ou cherché désespérément la fréquence de Meryl, ne manqueront pas de le confirmer. Au fil des jeux suivants, Kojima peaufine son style, multiplie les innovations et les expériences narratives, interactives et/ou de gameplay, contribuant à hisser la saga Metal Gear Solid au panthéon des jeux vidéo. Malheureusement, en 2015, c’est le divorce entre Kojima et le studio Konami (chez qui Kojima a fait toute sa carrière jusqu’ici). Contraint d’abandonner la licence Metal Gear qu’il a pourtant créé, Kojima s’attèle à concevoir une nouvelle licence mystérieuse qui sortira en 2019 : Death Stranding. Avec en tête d’affiche des comédiens comme Norman « The Walking Dead » Reedus, Mads Mikkelsen ou Léa Seydoux, sans compter des caméos inattendus tels que Guillermo Del Toro ou Nicolas Winding Refn, le nouveau jeu de Kojima profite d’un gameplay expérimental, voire véritablement casse-gueule (les mauvaises langues parlent encore d’un Rando-Fedex Simulator) tout en nous embarquant dans une intrigue incroyablement alambiquée mêlant fantastique, SF et fin du monde, un cocktail dont seul Kojima semble encore aujourd’hui avoir le secret. Et contre toute attente, cette nouvelle recette marque une nouvelle date dans l’histoire du médium, entrant immédiatement au panthéon des jeux vidéo (votre serviteur lui octroiera d’ailleurs la note maximale dans nos colonnes). Après une telle entrée en matière, c’est peu dire qu’on attendait ce second volet avec une impatience teintée, avouons-le, d’une certaine appréhension.

Comment renouveler dans une suite le véritable miracle (autant en termes de conception que de réception critique) que représentait le premier opus, sans tomber dans une simple redite ? Si la crainte était légitime, il suffit de quelques instants dans Death Stranding 2 pour se rendre compte que si les bases sont toujours là (au début du moins), quelque chose a changé.
(Inutile de dire que si vous n’avez pas encore joué à Death Stranding 1, mieux vaudrait arrêter immédiatement votre lecture tant certains éléments de cet article spoileront forcément votre expérience du premier volet.)
Exit les longues présentations du contexte narratif et des bases de gameplay, on rentre immédiatement dans le vif du sujet. Certes, cela se fait via une simple balade avec Lou (le BB du précédent volet adopté par votre héros Sam) dans des montagnes américaines arides évoquant fortement nos Bardenas Reales voisines, et dans une mise en scène qui ne manquera pas d’évoquer le désert contemplatif d’Uncharted 3, mais on ressent très vite la volonté de Kojima de ne pas perdre de temps et de nous replonger sans tarder et sans fioritures dans son univers. Considérant, fort logiquement, que les joueurs ont déjà fini le premier volet, Death Stranding 2 ne tarde donc pas à ramener Fragile auprès de Sam pour faire à nouveau appel à ses talents de porteur de marchandises, cette fois à destination du Mexique (en attendant un départ pour une nouvelle destination dont on vous laisse la surprise, sitôt passé le prologue). Ni une, ni deux, voilà notre livreur reparti à nouveau en vadrouille pour reconnecter le monde, et permettre aux joueurs de reprendre la main sur le gameplay si particulier de la licence. Peu de changements côté livraisons qui demanderont toujours de veiller au choix de votre équipement (cordes, échelles – désormais emboitables par deux…) ainsi qu’au poids et à l’organisation des marchandises sur votre dos, via les terminaux des dépôts ou votre nouvelle bague-terminal. Une fois en chemin, il faudra également veiller à la route à emprunter pour atteindre votre destination en faisant attention aux terrains trop accidentés (attention aux chutes) et aux zones de précipitations (la pluie/neige étant toujours aussi corrosive pour vos marchandises) sans oublier les nouvelles joyeusetés, dont notamment les feux de brousse. Pour vous aider, de nouveaux équipements, véhicules et structures seront disponibles au fil de votre progression, que ce soit par le biais de vos quêtes principales et secondaires, ou de votre travail conjoint avec celui des autres joueurs du monde entier (contribuer à réparer une route, un sentiment toujours aussi gratifiant !). Une fois bien équipé et organisé, votre Sam dévorera facilement (un peu trop, peut-être ?) les kilomètres, et fera aisément son chemin à travers les zones occupées par les bandits et les Echoués (ces créatures entre vie et mort, désormais aux différentes capacités, qui ne manqueront pas de vous entrainer dans leurs profondeurs infernales en cas de défaite), sans compter de nouvelles « créatures chirales » dont il vaudra mieux se méfier.

L’occasion d’aborder immédiatement la première grande évolution de Death Stranding 2 : son gameplay d’action. Si le premier volet mettait davantage l’accent sur l’infiltration, cette suite en prend le contrepied en nous invitant très tôt à prendre les armes contre toutes les menaces sur notre chemin. Lance-bolas, fusils, grenades, matraques… On retrouve très vite l’arsenal que nous avions mis tant de temps à récupérer dans le premier volet. Un choix qui transforme rapidement l’expérience Death Stranding, lui donnant des airs de jeu d’action là où le premier volet avait de fortes allures de jeu d’infiltration héritées des MGS. Des phases d’infiltration répondent toujours présent, mais se révèlent moins punitives en cas de détection, puisqu’il suffira dès lors de sortir l’artillerie lourde pour ressortir victorieux. D’aucuns diront que ce revirement fait perdre au jeu en originalité ce qu’il gagne en efficacité, mais en tout cas, nul doute que cela devrait cliver encore davantage les joueurs entre ceux qui adhèrent et les autres. Un peu comme le premier volet en son temps, pourrait-on dire. En tout cas, cette entrée en matière confirme à ceux qui en doutaient que Hideo Kojima n’est pas encore prêt à se reposer sur ses lauriers, mais semble au contraire décidé à profiter de ce second volet pour explorer encore plus ses thèmes de prédilection (la guerre, les liens humains, le surnaturel, le rapport à la mort et à la technologie…), et nous gratifier également de pas mal de joyeusetés souvent surprenantes.

« Surprenant » serait d’ailleurs l’un des meilleurs qualificatifs pour ce Death Stranding 2. On vous a déjà parlé de l’évolution inattendue du gameplay vers l’action, mais dites-vous qu’il ne s’agit là que de la partie émergée de l’iceberg. Comme galvanisés par l’excellent accueil du premier volet, Kojima et son équipe ont profité de cette suite pour lâcher la bride et y aller à fond. Narrativement déjà, avec de nouveaux personnages au passé fort (mention à Tarman et son lien particulier avec son fils et la poix). Visuellement également, avec des expérimentations souvent inattendues (on veut bien parier que l’animation de Dollman à la « Into the Spiderverse » ne vous laissera pas indifférent, sans compter l’utilité ingame du personnage). Mais surtout, là où Death Stranding premier du nom était plutôt sage à ce niveau, on retrouve dans cette suite les moments « quatrième mur » chers à Kojima depuis toujours. En effet, entendre les personnages discuter ouvertement de Kojima Productions (le studio derrière le jeu) ou de certains acteurs au casting de cette suite, ça fait son petit effet ! L’ensemble de ces éléments, sans compter ceux que nous vous tairont pour éviter les spoilers, donneront d’ailleurs souvent à Death Stranding 2 des allures d’oeuvre-somme, comme un véritable best-of de l’ensemble de l’univers de Kojima, et ce n’est pas le look de certains sbires de Higgs ou le clin d’oeil à un certain ninja qui nous contrediront. D’ailleurs, ce ressenti ne sera pas évoquer celui procuré à l’époque par un certain Avatar 2 qui respirait l’amour de James Cameron pour les profondeurs, et où le film, notamment la longue séquence finale, convoquait l’ensemble de sa propre filmographie. On citera d’ailleurs deux autres points communs entre Death Stranding 2 et Avatar 2 : ils sont clivants pour le public, mais ils réussissent à mettre tout le monde d’accord visuellement.

Oui, Death Stranding 2 est clivant, on l’a déjà dit plus haut et c’était déjà le cas du premier volet, mais sur le plan visuel et graphique, c’est bien simple : on tient là l’un des plus beaux jeux jamais réalisés. Le premier volet était déjà impressionnant sur PS4, mais le passage à la PS5 et la maitrise désormais plus affirmée du moteur Decima permettent à cette suite de réaliser un bond proprement bluffant. En effet, rarement la nature, les constructions (anciennes ou futuristes) ou encore les humains n’ont paru aussi réalistes dans un jeu. Il suffit de voir le visage de Norman Reedus pour s’en convaincre : la reproduction des aspérités de son visage est impressionnante de réalisme, au point qu’on sera parfois à se demander si il ne s’agit pas de prises de vues réelles. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, cela ne se fait pas au détriment du rendu des expressions du visage et des émotions véhiculées, bien au contraire. On regrettera que tous les personnages n’aient pas bénéficié de ce traitement, certains arborant parfois un visage si parfait qu’il en devient un poil cireux façon poupée, mais en revanche, la retranscription des émotions sera systématiquement au rendez-vous. Et que dire des décors naturels, dont le soin dans la modélisation n’aura d’égal que leur comportement au réalisme poussé à l’extrême. Dès le premier niveau, il suffira de voir les petits cailloux bouger sous les pas de Sam, ou encore les éboulis de rochers sous l’effet des séismes, pour comprendre combien les équipes de Kojima Productions n’ont pas chômé pour repousser de nouvelles limites tout en profitant de la variété d’environnements naturels offerte par le changement de décor diégétique de cette suite. Sans oublier le soin accordé au level design qui, outre nombre d’obstacles naturels à surmonter, nous gratifiera régulièrement de paysages à couper le souffle qui donneront indéniablement des envies de voyage, ou simplement de dégainer le mode Photo. En passant, sachant que le moteur Decima est avant tout celui de la saga Horizon (Zero Dawn / Forbidden West), on vous laisse imaginer ce que cela laisse augurer pour le troisième volet du bébé de Guerilla Games. On accordera également ici une mention au rendu des fluides, qu’il s’agisse de l’eau ou de la viscosité de la poix noire, dont les rendus n’auront d’égal que les comportements et les interactions avec leur environnement dans les phases agitées. Et en passant, attention aux feux de brousse, aux avalanches en montagne et aux crues des rivières lors de forte pluie !

Côté sonore, on retrouve ce qui faisait déjà l’identité de Death Stranding premier du nom, avec un savant mélange de réalisme et d’un brin de folie. Ainsi, les bruitages d’éléments naturels sont toujours aussi criants de vérité, autant que les éléments plus fantastiques ou futuristes qui bénéficient d’un soin impressionnant, tout en nous gratifiant de quelques fulgurances d’originalité contribuant, comme dans le premier volet, à rendre l’univers de Death Stranding aussi palpable qu’unique. L’atmosphère musicale n’est pas en reste, avec à nouveau les compositions d’un large panel d’artistes allant du nouveau venu Woodkid au regretté Low Roar en passant par Gen Hochino (qui fait une apparition dans le jeu). De quoi satisfaire toutes les oreilles. Enfin, côté doublage et comme dans le premier volet, on passera à nouveau par une certaine gymnastique selon qu’on opte pour la VO ou la VF. En effet, si l’on retrouve bien Emmanuel Karsen et Elsa Davoine pour la VF de Reedus et Seydoux (laquelle ne se double pas en VF, comme dans le 1), David Kruger est remplacé ici par Benjamin « Jon Snow » Penamaria dans le rôle de Higgs / Troy Baker (un changement étonnant tant Kruger incarnait un Higgs absolument génial). Parmi les nouvelles têtes, les réalisateurs George « Mad Max » Miller et Fatih Akin ne prêtent que leurs traits à leurs personnages, leur voix VO et VF étant incarnée par d’autres (dont l’excellent Jonathan « The Chosen » Roumie pour Fatih Akin en VO). Rien d’étonnant, c’était déjà le cas dans le premier volet pour Guillermo Del Toro et Nicolas Winding Refn, moins présents dans cette suite. Enfin, on saluera l’arrivée des nouvelles venues Elle « The Neon Demon » Fanning et Shioli « Yukio de Deadpool 2 » Kutsuna, secondées par Luca « Martin Eden » Marinelli. De quoi offrir à Death Stranding 2 l’un des castings les plus éclectiques vus de mémoire de joueur.

A bien des égards, Death Stranding 2 risque bien de marquer votre mémoire de joueur autant que son prédécesseur. Si l’effet de surprise est forcément passé et que certains ajustements, notamment côté gameplay, semblent céder à une forme de facilité, les équipes de Kojima ne se sont pas reposées sur leurs lauriers et ont repoussé leurs limites encore plus loin. Plus beau, plus bourrin, plus extrême, plus expérimental, Death Stranding 2 n’est pas une simple suite à l’une des plus grandes surprises du jeu vidéo, mais représente une forme d’œuvre-somme de Hideo Kojima, rassemblant tous ses goûts, ses acquis, ses thèmes de prédilection, ses préoccupations… Bref, tout ce qui fait le sel de ses jeux depuis le premier Metal Gear Solid et qui continue encore aujourd’hui de cliver son public. A nouveau, on adhère ou pas, mais comme pour le premier, cela ne peut se juger que manette en main. Nous, on adore !















