Hitchcock begins. Avant qu’il ne devienne une légende avec ses films américains comme Les oiseaux, Psychose, La mort aux trousses ou bien encore Vertigo, Alfred Hitchcock tourna entre 1927 et 1932 dix longs-métrages aux studios d’Elstree, chez British International Pictures, quelques films muets jusqu’à l’arrivée du cinéma parlant en 1929 et le cèlèbre Chantage suivi d’une poignée de long-métrages dont Numéro 17 (1932), le dernier film restauré en 4K parmi les 10 films de jeunesse d’Hitch proposé dans ce coffret blu-ray édité par Carlotta.
Les quatre premiers films muets du coffret, Le masque de cuir (1927), Laquelle des 3 ? (1928), A l’américaine (1928), The Manxman (1929) sont d’un intérêt minime en ce sens qu’il est difficile d’y trouver la patte hitchockienne, ce sont des comédies légères, romantiques, d’une certaine banalité, parfois sauvées par un éclat et une idée de mise en scène.
Le masque du cuir (The Ring, 1927) et son triangle amoureux est intéressant sur le plan de la mise en scène, pour la première fois de sa carrière Hitchcock a recours un effet spécial allemand connu sous le nom de procédé Schüftan (Fritz Lang venait de l’utiliser pour Métropolis, 1927). Il s’agit d’un trompe-l’-oeil qui permet à l’aide d’un miroir, semi-réfléchissant et incliné, de combiner dans une même prise de vue des décors à taille réelle et une maquette afin de donner l’impression d’une seule et même réalité par perspective forcée. Enfin le climax avec le combat entre les deux rivaux offre quelques plans (flou) et mouvements de caméra (descendant) malins pour représenter le vacillement du combattant.
Laquelle des 3 ? (1928) est une comédie bucolique adaptée d’une pièce de théâtre, comédie poussive où la campagne est le seul élément du film qui trouve grâce aux yeux du cinéaste.
A l’américaine (1928) est pour Hitchcock ce qu’il y a de plus bas dans sa filmographie. En effet pas grand chose à sauver excepté quelques bonnes idées formelles comme l’utilisation du plan subjectif.
The Manxman (1929), avec un nouveau triangle amoureux, est la dernière œuvre d’Hitchcock entièrement conçue comme un film muet.
Le film suivant Chantage (1929) dont deux versions furent tournées, muette et parlante, marque une étape importante dans la carrière du réalisateur anglais en ce sens qu’il distille de nombreux ingrédients fondamentaux de la recette hitchockienne : une blonde, un meurtre, un maître chanteur sans oublier une séquence de course-poursuite (dans le Bristish museum). Ce 10ème film dans sa carrière est d’abord muet puis avec l’arrivée du parlant Hitchcock élabore une version sonore (il s’agit du premier long-métrage parlant britannique). Hitchcock utilise superbement le son comme dans cette séquence située chez le buraliste où tout le quartier ne parle que du meurtre commis dans le quartier. Un brouhaha infernal se créé d’où n’émerge que le mot « couteau », répété de façon de plus en plus forte et stridente par différentes personnes. Hitch traduit ainsi la perception troublée de l’héroïne en proie à une grande nervosité. En outre, avec le maître chanteur Tracy, il créé son premier personnage mémorable de bad guy. Enfin, grande marque de fabrique du réalisateur anglais, un final haletant et spectaculaire avec course-poursuite au sein d’un monument ou un site très connu est ici situé dans le British Museum; plus tard la Statue de la Liberté dans La cinquième colonne (1942) ou bien encore le mont Rushmore dans La mort aux trousses (1959). Pour Hitchcock la course aux poursuites c’est « la récompense ultime ».
Meurtre (1930), adaptation d’un roman, se classe dans la catégorie du whodunit qu’Hitchcock s’approprie; il dévoile d’emblée l’identité du malfaiteur, pour bâtir ensuite le suspense, en s’appuyant sur la connaissance des faits par le spectateur. Meurtre surprend par son usage novateur du son avec l’utilisation de la voix off. En outre apparaît le premier meurtrier travesti de l’œuvre d’Hitchcock, comme est abordé le thème du voyeurisme, 30 ans avant Psychose. Le meurtre avec un ciseau, objet récurrent dans la filmo hitchcockienne, se retrouvera en écho des années plus tard dans des films jalons comme Le crime était presque parfait (1954).
Les deux films suivants Junon et le paon (1930) et The Skin Game (1930) souffrent d’une raideur liée à leur dispositif théâtral, adaptations passables de pièces de théâtre filmées presque intégralement en studio et abondamment dialoguées, peu appréciées par son réalisateur qui estime que le premier n’a « aucun rapport avec le cinéma ».
A l’est de Shangaï (1931), premier scénario original depuis Champagne, est inspiré du voyage effectué par les époux Hitchcock et leur fille Patricia au début de 1931 où ils se rendent par voie maritime en Afrique de l’Ouest, aux Caraïbes. Le cinéaste s’essaie pour la première fois au cinéma d’aventure. A l’est de Shangaï (1931) navigue joyeusement entre drame conjugal, satire de la bourgeoise anglais, film d’aventure et propose de belles idées de mise en scène comme en introduction, un seul plat séquence pour montrer des employés qui quittent leur bureau à la fin de leur journée de travail et plus tard l’utilisation de la prise de vue subjective pour traduire un vertige.
Numéro 17 (1932) réunit de nombreux ingrédients hitchockiens, des personnages troubles dont une femme fatale, du suspense, une course-poursuite (bricolée avec des maquettes !). Le cinéaste utilise, pour la dernière partie du film, constituée d’une course-poursuite entre un train et un autobus lancés à vive allure, de nombreuses maquettes et des modèles réduits. Il avouera plus tard que celle seule partie du tournage l’a vraiment intéressé. La poursuite finale entre le train et l’autobus permet au cinéaste de recourir à toutes les ressources du montage alterné pour alimenter le suspense. Pour Alfred Hitchcock, Numéro 17 est un « désastre ». Il est vrai que le film souffre surtout du caractère confus, à la limite de l’incompréhensible, de son histoire. On peut le voir pourtant comme un sympathique exercice de style, avec ses éclairage expressionnistes et ses motifs visuels dans la première partie, annonciateurs de moments majeurs de son œuvre comme le plan du couple suspendu au-dessus du vide comme dans La mort aux trousses et l’utilisation à plusieurs reprises d’une paire de menottes comme dans Les 39 marches (1935), La cinquième colonne ou Le faux coupable (1956).
S’ils sont inégaux ces premiers films anglais ont donné le ton des grands films de sa carrière américaine, en disséminant des ingrédients, sublimés plus tard, de la recette hitchcockienne, soit les blondes, les faux coupables, les méchants, les inspecteurs, la sensualité, le meurtre avec un objet contondant, la course-poursuite, le suspense sans oublier le fameux MacGuffin.
Technique
Quatre films du coffret ont bénéficié d’une méticuleuse restauration en 4k à partir d’un contretype positif 35mm : Chantage, Junon et le Paon, A l’est de Shangaï et Numéro 17. Les masters sont propres, stables et révèlent une définition de qualité inespérée pour des films aussi anciens. De plus les pistes audios sont très claires. En revanche les autres long-métrages du coffret, non restaurés comme Meurtre et The Skin game, ont évidemment souffert du passage du temps, avec des masters présentant flous, tâches, instabilités et des pistes audio avec des grésillements et une musique parfois saturée.
Bonus
Un florilège de supplément de grande qualité est proposé par l’éditeur Carlotta. La pièce maîtresse est le passionnant documentaire de 1h15min (sur un blu-ray à part) réalisé par l’excellent Laurent Bouzereau à qui l’on doit de nombreux making-of de référence pour les grands films de réalisateurs prestigieux comme Steven Spielberg et Brian de Palma et un superbe livre consacré à Hitchcock (Hitchcock: pièces à conviction). Avec les interventions de l’historien, critique et réalisateur Elvis Mitchell, ce documentaire retrace l’évolution du style et de la signature d’Alfred Hitchcock via le tournage d’un de ses films phares anglais, Chantage. Sont répartis sur les différents blu-ray de nombreux essais, documentaires très intéressants sans oublier les célèbres et indispensables entretiens audio Hitchock/Truffaut. Un livret de 64 pages agrémenté de photos et de dossiers de presse d’époque est inclus dans ce coffret indispensable pour tous les fans d’Hitchcock.