Interview de SOGO ISHII, invité d’honneur du NIFFF 2010

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Né en 1957 dans la préfecture de Fukuoka, le cinéaste et musicien japonais SOGO ISHII a marqué les esprits des cinéphiles les plus curieux à travers des films tels que Crazy Thunder Road, Shuffle ou Burst City, des pellicules rebelles rythmées par de violents riffs de guitare électrique et des mouvements de caméra frénétiques précurseurs de la vague cyberpunk de Shinya Tsukamoto et de ses Tetsuo


Après sa période « punk » (fin 70’s-début 80’s), Ishii signe en 1984 The Crazy family, œuvre qui dynamite allégrement le foyer typique japonais (et dont Takashi Miike se souviendra pour son Visitor Q…)

Il faudra patienter dix années avant de découvrir un nouveau long-métrage du réalisateur : ce sera le thriller métaphysique Angel Dust en 1994.

 

Le labyrinthe des rêves (1997) marque la première participation de l’acteur Tadanobu Asano (Ichi the killer, Tabou, Zatoïchi de Kitano…) à l’univers d’Ishii.

Ils se retrouveront notamment pour le film fantastique de samouraï Gojoe (« Gojoe, le pont vers l’enfer ») ou pour le délirant Electric Dragons 80.000 Volts qui voit Asano se glisser dans le rôle de « Dragon-Eye Morrison », un super-héros défoulant son trop-plein d’électricité sur sa guitare !

 

 

Absent des écrans depuis l’expérimental Kyoshin en 2005, Sogo Ishii était l’invité d’honneur de la 10ème édition du Festival International du Film Fantastique de Neuchâtel (NIFFF) qui lui rendait hommage par le biais d’une grande rétrospective.

 

Ce fut donc l’occasion rêvée de rencontrer ce cinéaste pour le moins « rock’n’roll »…

 

 

 

– En premier lieu, pouvez-vous nous dire comment vous êtes passé du « punk rock » au cinéma ?

 

J’aimais beaucoup le rock, et j’avais l’ambition de devenir musicien professionnel, mais malheureusement je n’avais pas assez de talent… Suite à cette vocation ratée, j’ai commencé à tourner des films en Super 8.

Au sujet du mouvement punk, je n’étais absolument pas au courant de son développement à cette époque. J’ai découvert des groupes étrangers comme les « Sex Pistols », qui sont de ma génération. A vrai dire, je n’ai eu connaissance de la dénomination « punk » qu’après coup, alors que j’étais déjà immergé dans cette culture…

J’ai alors assimilé la mise en scène au punk rock : l’important n’est pas la technique, mais la passion ! Au départ, j’avais surtout à l’esprit de faire de réaliser un film avec des amis tout simplement parce que les œuvres existantes ne me disaient rien, je ne m’y retrouvais pas.

L’idée de créer quelque chose soi-même, c’est tout à fait l’esprit du punk selon moi !!!

 

 

 

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Panic in High School



 

 

– En 1976, vous réalisez votre premier court-métrage, Panic in High School, auquel la firme Nikkatsu vous commande une version longue… Comment votre esprit punk indépendant s’est-il accommodé aux conditions d’une grande « major » ?

 

J’étais jeune, je pensais que je contrôlais tout, alors qu’en réalité pas du tout…

On peut dire que j’ai découvert l’univers adulte avec ce film ! C’est pour cela qu’ensuite, j’ai presque toujours œuvré dans le cinéma indépendant, même si la porte avec les grosses majors est restée ouverte puisque c’est la Toho (célèbre grand studio nippon auquel on doit le mythique « Godzilla » notamment) qui a produit mon film Gojoe.

 

 

 

– Gojoe est sans doute l’un de vos films les plus connus en Occident, il a été distribué (en version courte !) en DVD en France… On dit souvent que les réalisateurs américains cinéphiles rêvent tous de tourner un western, en est-il de même pour les Japonais et le film de samouraï ?

 

J’aime tout simplement le genre, et c’était une opportunité assez unique, mais ça nécessite beaucoup d’argent. Ce n’était pas facile à faire…

 

 


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Gojoe

 


 

– Quelles ont été vos influences cinéphiles dans votre jeunesse ?

 

J’ai grandi avec le cinéma américain, et j’ai vu énormément de films « grand public ».

Plus tard, j’ai découvert A Bout de souffle de Jean-Luc Godard, et même si je n’ai pas tout compris la première fois, j’ai ressenti une foule d’émotions !

 

 

 

– Aucun film japonais ?

Si ! Il y a des films japonais « mainstream » que j’adore, même si la thématique ne m’intéresse pas toujours… Je trouve par exemple Battle Royale absolument extraordinaire même s’il ne reflète pas du tout mon état d’esprit.

 

 

 

– Le métrage de Fukasaku est justement tiré d’un manga… A travers des films comme Crazy Thunder Road, pensez-vous avoir influencé certains auteurs, comme Katsuhiro Ôtomo et son célébrissime « Akira » par exemple ?

 

Je ne sais pas…

En tout cas, j’aime beaucoup Ôtomo. On a travaillé ensemble sur un projet qui n’a malheureusement pas vu le jour.

Toujours dans l’univers du manga, j’ai également voulu faire à une époque une adaptation filmée de la série « Kamen Rider », mais à ma sauce : en plus agressif et extravagant !

 

 

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Crazy Thunder Road


 

 

– Quelles sont vos références littéraires ?

 

J’apprécie beaucoup Philip K. Dick et l’écrivain William Gibson (un des leaders du mouvement « cyberpunk » -mélange de culture punk et de SF- notamment auteur des nouvelles ont inspiré « Johnny Mnemonic » avec Keanu Reeves et « New Rose Hotel » d’Abel Ferrara).

 

 

 

– Crazy Thunder Road (1980) met en scène de vrais « bikers »… Est-ce que cela a rendu sa conception plus difficile ?

 

Pas vraiment… Sauf quand les jeunes se faisaient arrêter par la police sur le chemin du tournage !

Pour citer une autre anecdote, sur Burst City (réalisé en 82), pas mal de bagarres simulées au départ ont finies par devenir bien réelles !!!

 

 

 

 

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Crazy Thunder Road


 

 

 

– A partir de The Crazy Family (1984), on a l’impression qu’il y a un changement de cap dans votre carrière, vous passez de films « punks » à un style un peu plus « classique »…

Etait-ce une question de maturité, vous sentiez-vous moins rebelle par-rapport au système établi ?

 

Il y a effectivement eu un changement, mais c’est surtout que je n’arrivais pas à faire le film que je voulais ! J’avais toujours en tête des projets de science fiction sur des thèmes « cyberpunks », mais je ne trouvais plus de financements au Japon. J’ai essayé de me tourner vers l’étranger, j’ai eu des propositions -notamment de l’Allemagne- mais ça ne s’est jamais fait car étant issu du cinéma à petit budget, je ne suis pas rompu au processus de coproduction…

Je ne possédais pas assez de technique pour les effets spéciaux et les budgets pour mes scénarii de SF ne venaient pas. Le seul recours aurait été le cinéma d’animation auquel je ne suis absolument pas formé. J’ai donc du passer à autre chose à ce moment-là…

Le tournage de Burst City ne s’étant pas bien terminé avec la « major » qui produisait le film, je suis entré dans une association de réalisateurs indépendants qui essayaient de s’entre-aider, dont faisait également partie Kyoshi Kurosawa (metteur en scène des films fantastiques « Cure », « Kaïro » ou « Retribution »).

C’est à ce moment-là que je me suis attelé à la réalisation de The Crazy Family… Mais je devais changer de méthodes de travail en embauchant de vrais techniciens, des acteurs professionnels, et surtout en livrant mon scénario AVANT le tournage… !

 

 

 

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The Crazy Family


 

 

 

– Quel regard portez-vous sur le cinéma indépendant japonais actuel ?

 

C’est très dur aujourd’hui, il faut énormément de volonté pour pouvoir tourner en tant qu’indépendant !!!

Il y a moins d’entre-aide qu’avant entre metteurs en scène, mais pas à cause d’un manque de solidarité… Le système de production japonais actuel ne le permet tout simplement pas.

 

 

 

– Pouvez-vous nous parler de votre intense collaboration avec l’acteur TADANOBU ASANO, avec qui vous avez travaillé sur Le labyrinthe des rêves, Gojoe, Electric Dragons 80.000 Volts, Dead End Run, et avec lequel vous avez formé un groupe musical (« Mach 1.67 », fondé dans les 90’s par Ishii et le compositeur Onogawa Hiroyuki) ?

 

J’ai rencontré Tadanobu Asano au moment du casting du Labyrinthe des rêves.

Nous nous sommes trouvés pas mal de points communs, car il aime aussi beaucoup la musique…

C’est quelqu’un de très cool, qui m’impressionne car il arrive à faire passer une multitude d’expressions sans avoir à parler. J’aime beaucoup ça !

 

 

 

 

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Tadanobu Asano dans Electric Dragons 80.000 Volts


 

 

 

– Au cours de votre filmographie, vous alternez films en noir & blanc et en couleurs… Pouvez-vous nous expliquer votre démarche ?

 

J’adore le noir & blanc ! D’ailleurs, à l’origine, Gojoe devait être en N&B, mais le producteur a refusé…

Cependant, la contrainte de ce format est qu’il est plus difficile d’éclairer les scènes à filmer.

 

 

 

– Il parait que vous avez annoncé à la presse japonaise que vous changiez de nom… ???

 

C’est exact ! Depuis janvier dernier, je ne m’appelle plus officiellement « Sogo » Ishii.

Mais comme j’ai été invité ici à Neuchâtel dans le cadre d’une rétrospective de mon travail passé, il était naturel qu’on me présente comme cela.

Désormais, je me nomme GAKORU ISHII, Gakoru signifiant « dragon sur la montagne »…

C’est pour moi comme le début d’une nouvelle carrière, un peu comme lorsque les groupes de musique se scindent et changent de nom !

 

 

 

 

 

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Sogo Ishii en conférence au NIFFF

 

 


 

– Quels sont vos projets actuels ?

 

Je vais faire un film qui s’inspire beaucoup de L’Ange exterminateur de Luis Buñuel (1962), mais qui sera plus noir, plus étrange… Le tournage est prévu cet automne.

 

Puis, en mars de l’année prochaine, je dois réaliser un film de SF. Mais il faut réunir beaucoup d’argent, et comme Gojoe, mon dernier film au budget important, a été un échec commercial au Japon, ce n’est pas évident…Cependant, depuis que j’ai changé de nom, je reçois plein de propositions ! (Rires)

 

Disons simplement qu’à partir de maintenant, je ferai les films que je PEUX faire !

 


 

 

– Grâce à l’évolution des technologies et surtout à leur démocratisation, comme pour les caméras numériques ?

 

Oui, bien sûr. J’ai par exemple un projet expérimental en 3D… Néanmoins, le plus important à mes yeux n’est pas la technique, mais bel et bien le contenu !

 

 

 

 

 

 

 

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Propos recueillis au 10ème Festival International du Film Fantastique de Neuchâtel

lors d’une interview en compagnie de Daily Movies, clap.ch et cloneweb.net

et lors de la conférence dédiée à Sogo Ishii animée par Julien Sévéon ,

journaliste et écrivain, auteur du livre « Le Cinéma enragé au Japon ».

 

Un grand merci à Mr SOGO ISHII et à son interprète, Kaori Kinoshita,

ainsi qu’aux organisateurs et au Service Presse du NIFFF

(Luana Di Trapani, Farida Khali, Mylène D’Aloia) .

 

Texte : Alex Vasiljkic


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