Luc Besson a toujours été d’une passion communicative pour la mise en scène, même ses détracteurs en conviendront. Alors forcément quand il s’ennuie en plein Covid à Los Angeles, il ne peut s’empêcher de tourner ! Et pour la première fois, au téléphone portable. Plus ou moins sans autorisation et avec improvisation. Et en ce qui concerne ces derniers paramètres, ce n’est pas nouveau. Avec « Le Dernier Combat », il était parvenu à lancer sa carrière avec un film presque amateur ! C’est le type d’expérience spontanée qu’il a vraisemblablement réitéré avec ce projet soufflé par sa productrice (Virginie Besson-Silla), qui s’apparente tout de même à un challenge « de luxe » – de son propre aveu. Évidemment, il y a des moyens qui sont conviés à cet exercice de style. Mais ils ne supplantent pas pour autant le duo qui offre à l’œuvre son titre : deux jeunes inconnus entièrement convaincants.
Car c’est une des grandes forces de Besson : défricher les talents tout en usant d’une direction appliquée et originale.
Jean Reno, Natalie Portman, Milla Jovovich, Maïwenn ou encore Mylène Farmer ont débuté sous sa caméra, tandis que Gary Oldman et Caleb Landry Jones lui ont offert certaines de leurs plus belles prestations. Cette attention portée aux personnages se retrouve naturellement dans l’ensemble de sa filmographie : « Nikita », « Léon », « Jeanne d’Arc », « Angel-A », « Adèle Blanc-Sec », « Lucy » et autres « Arthur » et « Valérian ».
Après les protagonistes, c’est bien la façon de les filmer qui importe. Le style Besson était emblématique avant le millénium et a clairement participé à sa renommée, tout particulièrement internationale. Le fond pouvait demeurer simple, mais la forme était toujours spectaculaire. Contrairement au cinéma américain auquel il a souvent été comparé, ce n’était pas tant ce qu’il donnait à voir, mais plutôt comment il le montrait. Cadrant lui-même et s’entourant d’un grand chef opérateur (Arbogast) et d’un compositeur très original (Serra), qui n’ont pratiquement fait carrière qu’avec lui, mais sont entrés dans la postérité, Besson s’assurait une image et un son uniques lui permettant d’être reconnu en quelques secondes. Il n’y a pas beaucoup de cinéastes qui puissent en dire autant – Jeunet, Noé ou Polanski sont de ceux-là. Ce style s’est progressivement estompé à l’orée du nouveau millénaire, notamment à la faveur de nouveaux collaborateurs voire de nouvelles méthodes, comme l’animation (sur les « Minimoys »). Il subsiste pourtant, ça et là, quelques élans purement bessonniens : le début de « Lucy », la fin de « DogMan » ou encore le look de June dans ce dernier essai. Franchement convaincant pour un produit sorti du placard quelques années après sa fabrication. Et quand bien même il est promis à la case télévisuelle, pour l’avoir vu sur l’un des plus grands écrans possibles (Grand Rex), il y passe tout à l’aise ! C’est ludique et inventif de bout en bout, dans un esprit divertissant et naïf comme seul Luc sait (toujours) le faire avec talent. Dans cette balade pas toujours glamour, on croirait reconnaître le L.A. du « Tangerine » de Sean Baker – lui aussi tourné au téléphone avec des amateurs. La séquence d’après, on est davantage dans « Un Après-midi de Chien ». À la fin, c’est littéralement « Bonnie & Clyde ». Cette capacité à « compiler » les meilleures références pour les arranger à son envie, c’est bel et bien l’un des autres grands talents du réalisateur.
Mais que cherche au juste Luc dans sa démarche de metteur en scène ? Lui, l’ancien voyou de Saint-Maur, que le réalisateur Patrick Grandperret avait pris sous son aile pour lui ouvrir une autre perspective. Lui, capable d’épouser une groupie mineure (Maïwenn) et de lui offrir le rôle d’une prostituée dont le client est un sosie, sobrement intitulé Fatman. Lui, incapable de citer son collaborateur (Pierre Jolivet) au moment d’être honoré pour son premier film au Festival d’Avoriaz, à seulement 23 ans ou encore de laisser Kathryn Bigelow réaliser « Jeanne d’Arc » sans sa compagne d’alors, Milla Jovovich.
Il a peu d’estime pour lui-même, mais semble manifestement en avoir encore moins pour ceux qui lui en manqueraient. Alors, il apparaît la plupart du temps blasé, la mine patibulaire, voire les larmes aux yeux lors d’un périlleux exercice de blanchiment télévisuel suivant une grave accusation – dont il est maintenant définitivement lavé ?
Manier la caméra avec brio pour raconter son monde idéalisé semble être un exutoire, et il est resté productif jusqu’à l’échec de son rêve de gosse : « Valérian et la Cité des Mille Planètes ». Pour moi, c’était une vraie réussite, mais pour beaucoup : beaucoup moins. Suite à cette désillusion et aux affaires de mœurs qui ont suivi, remonter la pente s’avère délicat. Mais Luc ne démérite pas avec cette bluette surprenante, après l’odyssée canine d’un nouveau héros fracassé (plutôt marquant) et avant celle d’un anti-héros décidément très à la mode ces dernières années (après tout, il est immortel) : Dracula.
Alors, quand on apprend qu’il se lance désormais dans sa version de « La Planète des Singes » à la sauce Snoop Dogg, est-on encore surpris ?
Moi, je crois qu’il a définitivement trouvé toutes les raisons de se consacrer exclusivement à son art (ou à sa thérapie), et ça me va très bien. Car malgré les réticences humaines que peut m’inspirer le bonhomme, je ne puis confesser que, sans lui, le cinéma ne me donnerait pas autant envie. Et après tout, c’est grâce à lui que j’ai pu découvrir le métier professionnellement dès l’adolescence, sans que jamais je n’aie à me plaindre du personnage.
Donc merci quand même, Mr. Besson.
Article de Noé Samson