INTERVIEW DE TOMAS ALFREDSON

 

En premier lieu, pourquoi avez-vous choisi d’adapter le best-seller de John AJVIDE LINDQVIST ?

La chose qui m’a le plus frappée lorsque j’ai lu le livre pour la première fois a été l’histoire de ce garçon brutalisé (par ses camarades de classe), Oskar.
Ce n’était pas raconté de façon « sentimentaliste », ça sonnait tellement « vrai » même si des choses fantastiques arrivent avec la présence de vampires dans l’histoire.
En fait, j’ai vécu de durs moments moi-même quand j’avais 12 ans et je me suis véritablement reconnu dans l’histoire de ce garçon…

 

Etait-ce en quelque sorte « autobiographique » de votre part ?

Oui, un peu…Mais le livre de Lindqvist est au départ un livre très autobiographique, il y parle ouvertement de son enfance…

 

Malheureusement, ce livre n’a pas été traduit en français…

Non, mais je crois qu’il va arriver en France à l’automne…

 

 

« Morse » (« Let the right one in » en VO) est une nouvelle relecture du mythe du vampire…
Il fait penser à un documentaire qui traiterait du vampirisme comme s’il s’agissait d’une maladie réelle. Avez-vous ce sentiment ?

Traditionnellement, les histoires de vampire ont un côté érotique que nous avons choisi d’enlever car il s’agit ici d’une histoire d’amour inconditionnelle entre 2 enfants.
Nous nous sommes avant tout concentrés sur l’aspect romantique.
Nous voulions montrer le vampire comme un être qui recherche du sang avant tout pour survivre. C’est son unique motivation. En fait dans le film, il agit plutôt comme un animal.

 

C’est ce point précis qui vous a aussi intéressé dans le livre ?

En réalité, quand les événements deviennent trop « fantastiques » et que tout peut arriver, cela perd de mon intérêt.
Pour moi, un univers totalement fictionnel doit avoir ses propres limites, qu’il s’agisse d’une histoire de science-fiction ou d’un film historique. Il doit y avoir des limites pour que cela reste intéressant.

 

Cela doit toujours avoir une connexion avec la réalité alors ?

Pas forcément NOTRE réalité, mais UNE réalité.
Pour moi, le génie de George Lucas quand il réalise « Star Wars » est qu’il invente une « réalité » en laquelle vous pouvez croire : le vaisseau de Ian Solo est vieux et sale, et son copilote ressemble à un singe. Cela semble « vraisemblable » dans cette fiction.
Donc, lorsque j’ai lu le livre, j’ai pensé que tout là-dedans pouvait arriver.

 

Parlons maintenant des 2 jeunes acteurs… Comment avez-vous choisi Kare Hedebrant et Lina Leandersson ?

Le casting a duré presque un an. C’est une chose très difficile pour un metteur en scène de trouver 2 enfants qui vont porter le film à eux-seuls. Il fallait trouver un moyen de leur faciliter la tâche une fois choisis. Malgré cela, leur performance est pour moi fantastique dans le film.

 

Effectivement, ils devaient avoir une pression énorme de porter le film tout entier sur leurs épaules…

Oui, vous devez jouer beaucoup avec et en même temps être respectueux du travail parce qu’un film représente beaucoup d’argent. Vous devez toujours être à leur écoute car les enfants ont une façon particulière de percevoir si une chose est logique ou non, même dans le cadre d’une science-fiction. Si vous écoutez et respecter leur logique, vous apprendrez énormément des enfants, car leur esprit est plus libre que celui des adultes.

 

Pouvez-vous décrire la relation qui les unit ? Est-ce réellement de l’amour ou simplement une forte amitié ?

Il y a différents niveaux de compréhension.
Vous pouvez imaginer que le personnage du vampire est imaginaire comme c’est rapidement suggéré. Le film est très ouvert, à chacun de faire son choix.
Un enfant faible et brutalisé comme Oskar n’est pas triste mais très en colère. Trop honteux pour en parler à ses proches, sa colère ne fait que s’amplifier. Il voit alors en Eli tout ce qu’il ne peut pas être mais voudrait être : elle est forte et dit toujours la vérité. Vivant la nuit et dormant le jour, elle représente son parfait miroir inversé.
La morale du film serait qu’Oskar choisit finalement d’être lui-même. Lorsqu’elle part à la fin, il décide de l’accompagner. A ce moment, on peut dire qu’ils ont « fusionnés ».

 

 

On ne sait rien à propos du passé d’Eli au début de l’histoire. Pourquoi ?


Je pense que si vous en dites trop sur son passé, ça ne fonctionne pas car c’est trop « fragile » : pourquoi n’est-elle pas emprisonnée par exemple ?...
Mais dans le livre, les origines du personnage sont beaucoup plus développées. Il y a aussi une différence : le vampire est un garçon qu’on a castré… C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on entrevoit dans le film cette étrange cicatrice entre les jambes d’Eli…

 

On se pose des questions au sujet de l’homme qui vit avec Eli au tout début… Est-ce réellement son père ou son ancien compagnon qui a vieilli ?

C’est aussi suggéré dans le film…
Ce n’est définitivement pas son père… On peut alors imaginer qu’il s’agit d’un « ancien » Oskar vieillissant qui lui fournit dorénavant du sang pour vivre.

 

Avez-vous eu des difficultés pendant le tournage ?

La principale difficulté a été le froid. Nous avons tourné dans le nord de la Suède où il faisait -20°… Non seulement ça a été difficile pour les enfants, en particulier Eli légèrement vêtue, mais aussi pour l’huile des caméras qui gelait à cette température…

 

 

Nous avons entendu dire qu’un remake américain était en préparation… Est-ce vrai ?

Oui, une compagnie américaine va produire le remake pour l’hiver prochain je crois…

 

En ferez-vous partie ?

Non, absolument pas.
La vie est trop courte pour faire la même chose deux fois…
J’espère simplement qu’ils ne l’« américaniseront » pas pour en faire un pur produit commercial.

 

Quels sont vos projets futurs alors ?


Je lis en ce moment beaucoup de scripts venus d’Hollywood…
Et je dirige actuellement une pièce au Royal Theatre de Stockholm.
J’ai toujours baigné dans cette ambiance artistique, car mon père est metteur en scène de théâtre, cinéaste et écrivain. C’est une sorte d’ « icône » en Suède…

 

 

Entretien réalisé par Alex Vasiljkic lors de la 16ème édition du Festival du Film Fantastique de Gérardmer.

Remerciements : le Public System, « Les Piquantes » (Alexandra Faussier & Florence Alexandre) et le distributeur Chrysalis Films (François Scippa-Kohn).