Interview de la réalisatrice Jocelyne Saab lors du FICA 2012

Lors de la 18eme édition du Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul (70), l’équipe de CINEALLIANCE a eu l’occasion de s’entretenir avec la grande réalisatrice et reporter de guerre qu’est Jocelyne Saab. Une interview axée sur la présentation du film qu’elle a réalisé avec des étudiants vésulien et leur professeur Pascal Truchet (Interview ici), ainsi que sur sa carrier et son métier.

 

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CINEALLIANCE : D’une façon générale, pour te présenter, tu es à l’origine journaliste de guerre ?


Jocelyne Saab : Non, à l’origine je suis Jocelyne tout court (rire). J’ai fait de la présentation de journal télévisé, des petits reportages radio, j’avais une émission de pop music, je ne me destinais absolument pas aux reportages de guerre mais la guerre m’est tombé dessus. J’ai senti la guerre venir et j’ai décidé que pour la première fois il fallait enregistrer toutes les données et savoir pourquoi, savoir ce qui se passe. Et là j’ai commencée à comprendre la folie de la guerre avant même qu’elle ait lieu et comment tout le monde s’entraine, les milices, les hommes qui arrivent, les gens qui ont des positions tranchées, qui ne veulent plus discuter « moi j’ai raison, moi j’ai raison », etc… Et les autres qui continuent à boire, à sortir, etc… Ceux qui palabrent qui disent « oui il faut changer la société » qui sont assis chez eux alors que ça brule, ça brule partout et pof ça a explosé. Comme j’avais perçu tout ça, j’ai considéré que je devais descendre, prendre la caméra et montrer cet enchainement de violence. Et voilà comment je suis devenu reporter de guerre, après avoir fait pop music, des présentations à paris en ayant interviewer Jacques Brel, etc.. J’allais vers autre chose mais bon je pensais que je vivrais toujours dans un environnement bien calme mais vlan la guerre. J’avais quand même conscience de beaucoup de choses et parce qu’aussi mon père me parlait toujours de la paix, de Gandhi, la paix, la tolérance etc… Et puis après  avoir tourné une première scène de guerre, une deuxième récolte des témoignages, tout le monde voulait que je continue. J’étais une femme, j’étais seule sur le terrain, j’y allais, je ramenais mes images et voilà.


 

CINEALLIANCE : C’est comme ça que tu as couvert des guerres aux quatre coins du monde ?


Jocelyne Saab : Disons que ça a commencé au Liban, puis après je suis venu à Paris où je voulais aller défendre des mouvements révolutionnaire où c’était très différent et je me suis retrouvé en train de couvrir la guerre en Lybie, puis la guerre en Egypte. Après j’ai voulu faire des choses à moi et je suis retournée dans ces pays, mais on a une étiquette qui vous colle à la peau après et après chaque fois qu’il y avait un bouleversement quelque part je recevais une demande pour que j’aille raconter ce qui se passe la bas. J’ai couvert des conflits au Vietnam, en Syrie, etc… c’est un engrenage et comme on est indépendant que je suis une femme, je ne suis pas un mastodonte grand et géant.


 

CINEALLIANCE : Et qui n’a peur de personne et qui fonce ?


Jocelyne Saab : Oui, c’est à dire que caché derrière la caméra on croit qu’on est invulnérable mais c’est une illusion et puis faut être mue aussi par des idées, mue par une croyance que tout ça est absurde, qu’on est pas avec ceux-là ou que ceux-là ont raison mais que ça c’est fanatique on en veut pas. C’est simple, c’est toujours des prises de positions élémentaires. Par contre quand on va sur le terrain, quand on a quelqu’un avec vous qui analyse et qui réfléchit sur les choses.

 

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CINEALLIANCE : Comment as-tu vécu la chute de Kadhafi ?

 

Jocelyne Saab : Ecoute, c’est très compliqué comme situation parce qu’il y a une double analyse à faire. Que ce soit un dictateur, c’est un fait. Mais j’étais très étonnée parce que j’ai vu quelques temps avant que c’était un « flirt » extraordinaire avec les européens et les américains. Et puis les contrats ne leur convenaient plus. Ils l’avaient fait gardien de leurs frontières et le payaient cher pour ça. Ca ne convenait plus, alors allez hop, on alimente et c’est l’homme a abattre ! Toute la région, tous les hommes qui étaient au pouvoir sont tombés comme si un temps était fini ! Et en même temps, il y a eu comme une étincelle allumée quelque part. Il y avait une telle oppression de ces régimes totalitaires soutenus par les occidentaux et l’Amérique avec en face d’eux le fondamentalisme et empêchant toute voix de s’exprimer. Ca a explosé ! Et donc ces forces occidentales américaines se sont dit, que la mèche étant allumée, il fallait en profiter pour se retourner ! Personnellement, je mets beaucoup de gens au même niveau. Je tempère… Il n’empêche que je déteste les guerres, que si elles pouvaient ne pas exister… Si j’avais 20 ans aujourd’hui, je serais objecteur de conscience !


 

CINEALLIANCE : Tu as vu beaucoup d’atrocités, qu’est-ce qui te donne la force de continuer à filmer, à nous reporter tout cela ?


Jocelyne Saab : Quand je peux le faire, je continue à le faire ! Aujourd’hui, je préfère aller vers autre chose. Je préfère aller raconter aux enfants pour leur ouvrir les yeux, pour qu’ils élargissent leur esprit. Leur raconter mon expérience personnelle, qu’elle leur serve à eux, qu’elle leur donne confiance dans les choix à faire et non pas suivre le troupeau. Maintenant aller sur le terrain, j’ai de moins en moins envie d’y aller. J’ai envie de faire certaines choses, pour l’instant je suis censée faire en un tour en méditerranée, faire un film sur les femmes, sur les violences, mais bon, il faut aussi gagner sa vie… J’accepte donc ce genre de sujets, que je fais avec cœur, mais j’ai envie de faire autre chose. Ça m’a beaucoup intéressée de faire ce travail avec les lycéens. Ils m’ont beaucoup apporté.

 


CINEALLIANCE : Pourquoi as-tu justement accepté tout de suite de faire un film avec ces jeunes ? Tu as vu qu’il y avait un potentiel avec eux ?


Jocelyne Saab : Avant tout j’ai accepté de très loin sans savoir à qui j’avais à faire, sans connaitre leur prof, je ne savais rien de rien ! Il s’avère que deux ans avant, j’avais été proposer aux université à Beyrouth d’enseigner. Je suis donc arrivée avec un esprit très ouvert, avec des idées hors programme. Mais ils sont tous figés dans leur carcan et m’ont dit « mais comment, il faut suivre le programme officiel, il n’y a pas de place pour toi ! ». Ça m’avait énervé qu’ils n’aient pas d’ouverture d’esprit. Apres avoir essayé comme ça partout, j’ai renoncé. J’avais envie de transmettre. Et je crois que c’est dans l’inconscient, quand tu es assise comme ça à une table de réunion gigantesque, on était 60 à Dehli a la réunion du Netpac, je me trouvais a côté des Therouanne quand Martine me glissa, comme les mauvais élèves qui ont autre chose pendant le travail principal, le mail sur lequel j’ai écrit « d’accord ». Il devait y avoir quelque chose, l’envie de transmettre, de faire partager. Et on n’avait aucun moyens, nos téléphones étaient 10 fois plus modernes, si on avait filmé avec ce genre de téléphone, on aurait eu une meilleure  qualité.


 

CINEALLIANCE : Et au début du projet, tu t’imaginais déjà venir ici pour les rencontrer ou tu comptais faire à distance ?


Jocelyne Saab : Martine m’avait demandé tous mes films et j’étais d’accord. Je lui ai envoyé au fur et à mesure. Elle m’a ensuite demandé de venir faire un Master Class pendant le festival. Je lui ai dit qu’il ne fallait pas s’arrêter et aller jusqu’au bout. Pascal voulait faire un livre au départ, je lui envoyais des mails et ils réécrivaient par-dessus, ça m’a beaucoup dérangé. Les mails sont très personnels. Pour leur envoyer ce que je leur avais envoyé, ça m’avait déjà demandé des mois à ne pas sortir les soirs, à reprendre les textes. J’ai essayé de leur raconter le Liban, dans quoi j’ai grandi, quelle est la matière de ma prime jeunesse qui a marqué mes choix. C’est un travail monstre l’écriture et moi, je ne suis pas écrivain. Jamais je n’ai écrit facilement. Ils croyaient que je n’enverrais jamais rien. Ils croyaient que je répondrais dans une page, et je leur ai envoyé entre 20 et 30 pages. J’avais déjà beaucoup avancé, dis beaucoup de choses. C’était déjà beaucoup plus posé que le début d’un livre. Et puis un livre, c’est encore plus intime. J’ai dit qu’il fallait faire un film. Même si Pascal sait écrire des textes, il fallait passer par le film. Qu’ils apprennent à analyser l’image, et c’est comme ça qu’on a décidé qu’il fallait que je revienne en fin d’année. Je venais pour trois jours, mais Pascal m’a dit que j’avais toute la semaine car il partait faire des exams. Je me suis retrouvé avec ses élèves pendant 8 heures par jour. Ilo m’a dit de faire trois groupes de travail, mais moi je ne savais pas faire ça. Mais une fois qu’ils avaient compris ce qu’était le plan, je les ai jetés dans l’action. On a fait un plan, une scène et on l’a découpée. Ils ont compris après qu’on ait discuté du sujet et m’ont demandé à partir. Je les ai laissé partir avec joie dans la cour, ils tournaient et revenaient me montrer. Je leur disais que tel passage allait, que tel autre était mal cadré,… Il y en a deux qui avaient été volontaire pour l’image, puis on s’est rendu compte que d’autres étaient plus doués. On a demandé qui voulait faire le son, qui fait ceci, qui fait cela, … J’ai expliqué à chacun ce qu’était le rôle de chaque poste. Comment on fait, qu’est-ce que c’est, et ils sont partis travailler. Apres on a visionné tous les rushes, on a complété et on leur a dit qu’elles étaient les bonnes idées. On les a conseillés pour refaire certains passages, et ils ont fait ça dans les deux jours qui ont suivi. Ils avaient compris ! Parce que les enfants imitent aussi. Ils imitent mais ils réinventent très vite. Ils ont vu comment j’interviewai, comment je faisais et hop, ils reposaient les mêmes questions. Ils ont réajusté le cours et puis ils m’avaient fait une surprise. Il y en a un qui m’a filmé sans que je le voie  afin d’avoir quelques images de moi. Heureusement qu’ils étaient là, car je pensais être totalement en dehors et finalement, j’étais un acteur dans le film !

 

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CINEALLIANCE : Le premier contact s’est bien passé avec les élèves ?


Jocelyne Saab : Oui, dès la première matinée c’est bien passé. L’après-midi, ça allait mieux et on s’est mis dehors et le soir, j’ai dit à Pascal qu’il fallait que ça « dégage » un peu plus. Il faut qu’on puisse échanger, je ne suis pas le prof, je n’ai rien à leur dire. Ils en savent plus que moi sur ce que j’ai envie de leur dire. Et eux-mêmes ont dit qu’ils n’avaient pas assez parlé. Le lendemain, je leur ai dit que j’avais envie de tous les photographier. J’ai donc pris chacun sous un angle diffèrent, j’ai créé une intimité entre eux et moi et ils ont commencé à faire pareil et c’est parti.

 


CINEALLIANCE : Quand tu es arrivée, ils connaissaient tout de toi, ils avaient tous lu ta biographie je suppose ?

 

Jocelyne Saab : Oui, il faut voir comment ils m’ont saccagé sur les films. « Ho madame, il est mortel ce film !! On n’a rien compris ! C’est lent votre truc ! » Voilà le genre de choses que j’ai entendu. Alors c’était chouette par ce que je me disais « Pourquoi ? ».  Certains m’ont expliqués qui ils étaient et pourquoi tel ou tel film les touchaient plus. Dumia leur a beaucoup plus par exemple. La maison brulée n’était pas au programme, mais Pascal leur a laissé les DVD. Il les a laissé découvrir seuls les choses. Ils sont allés le voir ensuite en lui disant « Monsieur, regardez sa vie ! Elle a perdu sa maison et elle a continué ! Elle a fait ça… » et d’un seul coup, j’étais magnifié par ce groupe d’ados. Ils ont tous eu une expérience cinématographique, photographique, privée, et je crois que la force de ce projet, c’est d’allier tout cela ! Quand toi-même tu viens, ton expérience donne aux étudiants une sorte d’assurance, de force, ce n’est pas un objet abstrait. Ce n’est pas non plus comme internet ou tout est passif, c’est un échange d’homme à homme. C’est très joli.

 


CINEALLIANCE : C’est une expérience à renouveler pour toi ?


Jocelyne Saab : Ca ne relève pas de moi, mais peut être que ça se renouvellera dans d’autres écoles, comme ça existe dans les lycées techniques de cinéma. Mais parler de tout ça, le printemps arabe, la Lybie, ça les a éclairé, car on a parlé de ca à un moment ou un autre. Du coup, ils n’allaient pas être dans la vision « cliché », ils ont eu la vision comme quoi ce n’est pas juste ça, mais qu’il y a quelque chose avant. Il y a une histoire, il y avait une vie derrière, on parlait tout à l’heure de Kadhafi, et d’un seul coup, ils découvrent un mec qui a 30 ans, qui a l’air beau, qui n’a pas l’air d’un méchant, qui est timide et ils ont du mal à comprendre comment il peut être un dictateur. Qu’est ce qui s’est passé ? Il faut dire qu’on a centré aussi. On a abordé certaines choses, et après du coup comme je leur ai écrit, ils ont parlé de la poésie libanaise, ils m’ont envoyé des mails, je leur renvoyais des cartes postales. Il s’est créé une intimité. Et jusqu’à la dernière séance où ils m’ont offert ce WIP (trophée en bois), et où surtout on a analysé le film en tant que tel, tous les jours ça leur a permis de s’exprimer, de défendre leur position e position en tant qu’acteurs, en tant qu’individus publics. Il y a eu une grosse discussion ce midi après la projection, dans la pénombre, le public à oser parler et les élèves aussi. J’ai expliqué le tournage et le montage au public et les lycéens étaient là à m’écouter comme s’ils entendaient une nouvelle version. Il a fallu expliquer au public les difficultés du tournage avec le peu de moyen, c’est pour cela qu’on a fait aussi un montage photos intégré dans le film. Il a fallu que je leur explique pourquoi on a filmé le prof d’en haut quand les élèves écrivent le mot « Liban » avec leur corps…  Des choses élémentaires : le plan, le point de vue, le regard. Et donc l’expérience pour nous s’est terminée aujourd’hui. Avec un prix que j’ai reçu de leur part, fais par un élève. Le revolver dans le film, c’est un objet qu’il a fait aussi. Il a voulu se battre avec la caméra, c’est ça son idée.

 


CINEALLIANCE : On a vu avec Pascal que les élèves ont appris plein de choses , notamment où se trouvait le Liban , ils se sont « ouverts », ils savent ce qui se passe en dehors de la France,  qu’est-ce que ça t’a apporté personnellement cette expérience ?

 

Jocelyne Saab : Le métier de metteur en scène est d’une très grande solitude, même si dans son travail il est amené à aller vers les autres.  Ce que ça m’a apporté, c’est la fraicheur de leurs regards, et l’admiration devant cette possibilité à absorber alors que nous, on n’absorbe plus pareil. On est méfiant de tout. Avec cette écoute, j’ai perdu de la solitude et j’ai retrouvé de la fraicheur et du bonheur de vivre.

 


CINEALLIANCE : Et maintenant, tu vas t’orienter vers quoi ??


Jocelyne Saab : Pour le moment, j’ai pris deux projets « alimentaires », des docus, parce qu’il faut vivre aussi. C’est de plus en plus dur pour les réalisateurs. J’ai une fiction que j’ai envie de préparer, j’ai envie aussi de sortir le livre, je dois faire un coffret de mes DVD. J’ai beaucoup de projets, mais c’est surtout la fiction qui m’intéresse.

 


Tous nos remerciements à Jocelyne pour sa bonne humeur et pour nous avoir supporté et accordé cette entrevue après une semaine de festival éprouvante pour elle. Nous en profitons également pour remercier l’équipe du FICA pour nous avoir permis cet entretien.

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